• Plongée nocturne au Petit Mugel en Lune gibbeuse

    Les vacances tant attendues sont enfin là, après de longues semaines de boulot bien remplies, je vais enfin pour pouvoir retourner plonger en toute quiétude, détendu, sans fatigue et en prenant tout mon temps. Pour ne pas déroger à mes habitudes estivales, je vais à nouveau me lancer dans une exploration nocturne des fonds marins en compagnie de François et de quelques membres de sa famille. En cette saison plonger en journée est très compliqué car le littoral des Bouches du Rhône est littéralement surchargé de monde, il n'y a que la nuit que tout redevient paisible. Et çà tombe bien car c'est souvent dans l'obscurité que l'on fait les plus belles rencontres faunistiques.

    plage du Mugel la Ciotat

    Ce soir nos explorations sous-marines se feront à la lumière des lampes de plongée mais aussi à l'éclat d'une belle Lune gibbeuse qui s'est levée en fin d'après-midi.

    La mise à l'eau est facile, la mer est chaude en ce moment. Je commence par visiter un petit îlot proche du bord de mer où je découvre un pétoncle noir (Mimachlamys varia). Ce mollusque bivalve a largement entrouvert sa coquille pour filtrer l'eau et capter les particules organiques et le plancton dont il se nourrit.

    pétoncle noir

    Juste en dessous de moi, sur le fond, un rouget barbet de roche (Mullus surmuletus) fouille le sol en quête de nourriture à l'aide de ses barbillons.

    rouget barbet

    Et puis survient déjà la première surprise de la soirée. En suivant François je remarque un drôle de poisson qui se tient immobile sur le fond. Avec son corps allongé, sa livrée marbrée et son museau pointu j'ai d'abord cru à un poisson lézard, mais le poisson lézard à une tête plate, ce qui n'est pas le cas ici. Après recherches, j'ai pu l'identifier, il s'agit d'un picarel (Spicara Maris), un cousin de la mendole, dont la livrée nocturne est radicalement différente de la diurne ! De jour ce poisson est argenté avec une marque noire sur les flancs, de nuit il arbore une teinte beige-marron avec des marbrures foncées.

    picarel livrée nocturne 

    Comme à mon habitude je fouine dans les cavités rocheuses pour découvrir ce qui s'y cache. Ici j'observe une magnifique colonie d'oscarelles bleu-violet (Oscarella lobularis) qui entoure une grosse éponge décharnée. Durant cette plongée je vais malheureusement observer pas mal d'éponges dans le même état, j'ai bien l'impression que certaines espèces de spongiaires n'ont pas supporté les eaux trop chaudes de la Méditerranée ... Et oui, les canicules prolongées font aussi des victimes sous l'eau, une Méditerranée à 28 ou 29°C ce n'est pas bon pour les espèces locales.

    éponges méditerranée

    Par contre les oscarelles bleu-violet semblent bien prospérer, elles tapissent et décorent magnifiquement le plafond de la cavité que j'explore. Cette espèce a une grande faculté d'adaptation, on la rencontre dans des biotopes très différents car elle est présente à la fois dans les eaux chaudes des Caraïbes et dans les eaux froides de la mer du Nord !

    oscarelle bleu violet

    La calanque du Petit Mugel présente un biotope rocheux et riche en coralligène apprécié par les apogons communs (Apogon imberbis). En plongeant de nuit et en visitant les anfractuosités on est quasiment assuré d'en observer car ils sont nombreux à fréquenter les lieux.

    apogon

    Avec sa livrée rouge intense, le "roi des rougets" est aisément identifiable en plongée. Cette espèce se rencontre principalement en Méditerranée et dans l'Atlantique proche, c'est l'un des trésors de notre Grande Bleue.

    apogon

    Un peu plus loin je tombe sur un petit poulpe (Octopus vulgaris) blotti parmi les galets. Je profite de cet article pour rappeler une fois de plus que les poulpes sont protégés du 1er juin au 30 septembre dans le parc des calanques et que le Mugel en fait partie, il est donc strictement interdit de les chasser en ce moment ! Je le répète très souvent dans mes articles, au risque de passer pour un radoteur, mais une fois de plus une personne m'a demandé si j'allais à la chasse aux poulpes en me voyant m'équiper en bord de mer et çà commence sérieusement à m'agacer ...

    poulpe

    Dans les petites grottes je remarque que les éponges se font rares. Par endroit il subsiste quand même quelques éponges pierre (Petrosia ficiformis) et sur l'une d'entre elle je repère un petit doris dalmatien (peltodoris atromaculata). Le nudibranche a déjà grignoté quelques parties de l'éponge qui apparaissent profondément rappées.

    doris dalmatien

    François me fait signe avec sa lampe, il a découvert une belle porcelaine livide (Luria lurida) cachée dans les rochers. Cet animal est très élégant avec sa coquille luisante, malheureusement l'esthétique de sa coquille lui a valu d'être victime d'une collecte abusive de la part des collectionneurs, de ce fait il a bien failli disparaître. Désormais la porcelaine livide est strictement protégée en Méditerranée par la convention de Berne, le but état de reconstituer sa population. Donc si vous la croisez, admirer là, prenez là en photo, mais laissez-là vivre, elle ne sera jamais aussi belle que sous l'eau !

    porcelaine livide

    En inspectant minutieusement les anfractuosités qui se présentent à moi je finis par débusquer un nouveau doris dalmatien. Contrairement aux apparences induites par l'utilisation du mode macro de l'Olympus TG4, celui-ci était assez petit. Les plus observateurs d'entre vous auront certainement noté la présence d'un second doris encore plus petit qui se cache dans l'un des oscules de l'éponge pierre où ils se sont établis (et attablés !).

    doris dalmatien 

    Avec le faisceau de ma lampe je surprends une araignée de mer ridée (Herbstia condyliata) qui déambule parmi les galets. Elle sait qu'elle est repérée et elle se dépêche de rejoindre un trou dans la roche pour se dissimuler.

    araignée de mer ridée

    Une oblade (Oblada melanura) s'est installée dans une cavité pour passer la nuit tranquille. Le poisson semble plongé dans un sommeil profond car il est peu réactif à mon éclairage et paraît un peu sonné. Il a juste le réflexe de baisser la tête vers le sol pour se cacher de la lumière et fait complètement fi de ma présence. Celui là il est un peu comme moi, la nuit pas grand chose ne le dérange, quand il dort, il dort ! Je ne l'embête pas plus longtemps, mais je prends quand même quelques secondes pour admirer les beaux reflets rougeâtres sur ses nageoires, il s'agit certainement d'une livrée de nuit.

    oblade

    Revoilà un doris dalmatien, mais celui-là est particulièrement minuscule ! j'ai le plaisir de montrer ce juvénile à mes compagnons de plongée. L'avantage avec les limaces de mer c'est qu'elles sont lentes, on a le temps d'appeler les copains, quant ils arrivent l'animal est toujours là et tous le monde peu en profiter !

    doris dalmatien

    Un petit trou très obscur abrite des vers polychètes tubicoles dont les jolis panaches branchiaux colorés sont déployés. A gauche une serpule (Serpula vermicularis) reconnaissable à son panache branchial rose en forme de fer à cheval et à droite une protule lisse (Protula tubularia) qui elle présente un panache gris-bleuté. Photographier ces vers marins demande de la dextérités car à la moindre vibration de l'eau le ver rétracte son panache dans le tube calcaire rigide qui lui sert d'abri !

    serpule

    La nuit les apogons (Apogon imberbis) se permettent de sortir en pleine eau pour chasser. Il se nourrissent de petits poissons et d'invertébrés, notamment de petits crustacés.

    apogon

    Mais ils ne sont pas toujours téméraires, à l'approche d'un plongeur certains n'hésitent pas à rejoindre leur cachette !

    apogon

    En suivant un apogon je tombe sur un autre poulpe commun (Octopus vulgaris) qui profite lui aussi de l'obscurité pour chercher de quoi se substanter. Quand il se sent menacé le poulpe présente d'étonnantes capacités de mimétisme avec son environnement, il est capable de changer de couleur mais également d'imiter le décors dans lequel il évolue en changeant la texture de sa peau. Ici il a fait apparaître des protubérances sur son corps afin de copier la forme des algues environnantes.

    poulpe

    François me fait signe avec la lampe. Je le rejoins et il me montre un petit congre (Conger conger) qui serpente rapidement sur le fond. Je descends en apnée vers 3 mètres pour le prendre en photo mais il est très vif et il se faufile entre les rochers et les algues, je ne parviens pas à le cadrer correctement ... Après plusieurs tentatives je repars quand même avec une petite photo souvenir de la rencontre.

    congre

    C'est désormais mon tour d'appeler François, je viens de repérer une grande cigale de mer (Scyllarides latus) ! Nous voilà dans un état euphorique car il s'agit d'une rencontre extrêmement rare ! Ceci pour deux raisons : D'une part elle est peu présente à faible profondeur et d'autre part cet animal aux mœurs nocturnes est menacé de disparition en Méditerranée.

    grande cigale de mer

    Nous passons un bon moment à l'observer en descendant en apnée à tour de rôle. Nous espérons qu'elle prospèrera et que cette espèce finira par reconstituer ses populations dans les calanques de La Ciotat et sur l'ensemble de notre littoral.

    grande cigale de mer

    Notons que la grande cigale de mer est totalement protégée en France (ainsi que dans plusieurs pays d'Europe) par l'annexe 3 des conventions de Berne et Barcelone depuis 1992 car elle a fait l'objet d'une pêche intensive et irraisonnée qui a littéralement décimé ses populations. Aussi il est strictement interdit de la chasser !

    grande cigale de mer

    Nous laissons la grande cigale de mer vaquer à ses occupations et poursuivons nos explorations. En fouillant parmi les rochers François découvre une nouvelle porcelaine livide (Luria lurida). décidément, nous avons droit à un festival d'espèces protégées et rares ce soir !

    porcelaine livide

    Le fait que nous en ayons croisé deux lors d'une même plongée tend à montrer que les mesures de protection prises à son égard commencent à porter leurs fruits. Celle-ci est active, on perçoit même une "antenne" qui dépasse à l'avant de son corps. La porcelaine livide se déplace essentiellement la nuit pour s'alimenter d'invertébrés, elle apprécie les spongiaires, les tuniciers, ou les petits crustacés.

    porcelaine livide

    Évidemment lors des plongées de nuit nous rencontrons beaucoup de rascasses. La première à attirer mon attention est une rascasse de Madère (Scorpaena maderensis), une espèce qui affectionne les eaux chaudes et qui est de plus en plus présente sur notre littoral à la faveur de la hausse de la température dans le nord de la Méditerranée.

    rascasse de Madère

    Au Petit Mugel nous pouvons également croiser des petites rascasses rouges (Scorpaena notata). Cette espèce est reconnaissable à sa tête massive et à ses grands yeux.

    petite rascasse rouge

    Nous descendons en apnée à tour de rôle vers 6 mètres de profondeur pour admirer un pagure rayé (Dardanus calidus). Il s'agit de l'un des plus grands bernard-l'hermite de Méditerranée. Il entretient une relation symbiotique avec les anémones parasites (Calliactis parasitica) qui couvrent sa coquille, c'est animal est une belle curiosité pour les plongeurs.

    pagure rayé

    Un petit trou plus proche de la surface abrite une protule lisse (Protula tubularia). Je parviens à immortaliser son élégant panache branchial bleuté avant que le ver ne le rétracte en une fraction de seconde dans son tube protecteur.

    protule lisse

    Il est déjà minuit, je commence à me rapprocher du bord, la plongée touche à sa fin. Sur le trajet je croise une jolie étoile de mer rouge (Echinaster sepositus) posée sur un rocher peu profond.

    étoile de mer rouge

    Avant de sortir de l'eau je rends visite un dernier pan de rocher couvert d'hydraires où j'ai l'habitude d'observer de petites limaces de mer. Je ne pouvais pas quitter le Mugel sans avoir photographié une hervia (Cratena peregrina) et çà tombe bien, je finis par en trouver une belle, accompagnée de sa ponte.

    hervia

     


     

    http://ekladata.com/pKZInWQrtNko3NvafqLPODA6V68/GPS-icon.png       La calanque du Petit Mugel

    La calanque du Petit Mugel est située sur la commune de La Ciotat près du cap du Bec de l'Aigle et en face de l'île Verte. Le Mugel est une réserve naturelle qui offre un environnement minéral remarquable constitué de poudingues, des roches sédimentaires chargées d'anciens galets que la mer érode lentement, d'où la présence de nombreuses cavités à explorer en snorkeling.

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    jeandeflorette
    Vendredi 12 Août 2022 à 19:30

    Hello, 

    Super sortie  nocturne au petit Mugel, Laurent! Et une observation formidable , la grande Cigale!! J'y étais mardi de 9h à 23h avec mes fils et j'ai vu ma première Drimo. J'étais ravi!

    J'ai vu aussi ces éponges décharnées, l'eau était à 26°! Quand les conditions sont optimales ces sorties de nuit sont géniales.

    Bonnes vacances.

     

    2
    Vendredi 12 Août 2022 à 20:02

    Salut André !

    C'est super que tu ais pu faire une plongée de nuit et voir une drimo, depuis que tu la cherches, tu as été récompensé ! Pour la grande cigale il est possible que tu la croise aussi un de ces soirs, çà fait deux fois que j'en vois une au Mugel et je pense qu'il s'agit de la même.

    Pour ce qui est des éponges j'ai bien l'impression que sont trop altérées pour se régénérer, faudra suivre l'évolution du phénomène dans les mois qui viennent.

    Amitiés

    3
    jeandeflorette
    Samedi 13 Août 2022 à 16:24

    Hello,

    Oui pour les éponges et notamment les démosponges, c'est vraiment inquiétant! . En effet cela est très rapide. Dans ce début d'été j'ai pu noter une évolution brutale suite donc à l'élévation durable de la température. Si Petrosia ficiformis disparait aussi ce sera dur dur pour les Doris dalmatiens...

    Terrible tout ça.

    Amitiés.

     

    4
    Dimanche 14 Août 2022 à 00:32

    Salut,

    J'ai l'impression que c'est surtout les éponges de toilette (Spongia officinalis) qui ont périclité (et peut-être des ircinies). J'ai trouvé une étude qui évoque un précédent épisode de mortalité massive d'éponges à la fin de l'été 1999 sur les côtes méditerranéennes françaises. Là aussi l'eau était devenue trop chaude ce qui apparemment à favoriser le développement de bactéries qui leur ont été fatales ...

    Sinon pour Petrosia ficiformis je n'ai noté qu'une petite régression de leur présence comme tous les été, les spécimens photographiés semblaient assez en forme. Tant mieux pour nos doris dalmatiens, et tant mieux pour nous car je ne connais que cet endroit pour les observer en snorkeling !

    Va falloir surveiller comment tout çà évolue, j'espère que le carnage va s'arrêter là ...

     

    5
    Louis Vincenot
    Dimanche 14 Août 2022 à 07:31
    Bonjour, Ce simple message pour vous féliciter pour vos différents articles que je prends toujours un grand plaisir à lire, depuis ma découverte du snorkeling en Guadeloupe qui m'a ouvert les yeux sur un monde très fascinant. C'est une chance que vous nous offrez avec ce blog de mettre en lumière une faune méconnue mais tellement passionnante. Je ne dois pas être le seul lecteur à me régaler de vos récits et cela fait un moment que je tenais à vous encourager ! Bonne continuation et au plaisir de suivre vos prochaines aventures (et de découvrir vos archives) ! Amicalement
    6
    Dimanche 14 Août 2022 à 11:18

    Bonjour Louis,

     

    Merci beaucoup pour votre commentaire très sympa, c'est toujours plaisant de savoir que mes articles sont appréciés ! J'essaye de partager ma passion de façon vivante en commentant les photos comme si nous étions tous ensemble en plongée. Je ne connais pas les fonds marins de Guadeloupe mais j'espère bien y aller un jour, j'imagine qu'il doit y avoir de beaux endroits à visiter en snorkeling, de quoi faire naître une passion pour la découverte du monde de Neptune.

    A bientôt pour de nouvelles aventures sous-marines !

     

    PS : Je profite de votre remarque concernant les archives pour préciser aux personnes qui consultent mon blog sur téléphone qu'ils doivent impérativement passer en mode "ordinateur" l'affichage ou descendre tout en bas de la page et cliquer sur "version standard" afin d'accéder à tous les menus. La colonne de gauche n'est pas visible en affichage "téléphone" et dans ce mode on rate le classement des articles par "spots" et les fiches concernant les espèces qui peuvent être utiles pour une identification.

    7
    C@thy
    Mardi 16 Août 2022 à 20:26

    Très bel article et très belles images. On a l'impression que tu nous prends par la main et que tu nous fait découvrir les beautés sous-marines de nos rivages.
    Merci.
    A bientôt.

    8
    Mardi 16 Août 2022 à 22:14

    Merci Laurent pour toutes ces merveilles nocturnes. Excellents souvenirs pour ma part de plongées bouteille près de l'ile verte, dans les années 1985... Je profite de ce commentaire pour prolonger, accentuer tes avertissements sur la chasse aux poulpes, pêche aux porcelaines... Etc. Oui, il y a des interdictions, des espèces protégées. respectons les. On ne rappellera jamais assez !!! Merci Laurent.

    9
    Vendredi 19 Août 2022 à 10:22

    Salut !

    @Cathy : merci beaucoup, on a vraiment des coins intéressants pour plonger dans les Bouches du Rhône, c'est une véritable chance de pouvoir en profiter toute l'année et un plaisir renouvelé à chaque sortie !

    @ Jean-Pierre : Notre Méditerranée est belle, malgré tous ce qu'on fait subir, et il faut continuer à la protéger pour essayer de réparer nos erreurs. Même si beaucoup de problèmes nécessitent surtout une action à grande échelle (surpêche, pollution chimique, déchets plastiques etc ...) en tant qu'individus nous pouvons au moins essayer de respecter les protections mises en place pour les espèces menacées. Surtout qu'elles portent généralement leurs fruits assez rapidement, la preuve avec ces rencontres plus fréquentes de porcelaines livides. Le problème du non respect des règlementations viennent généralement d'une méconnaissance du sujet, d'où la nécessité de faire beaucoup de pédagogie et de rappels.

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