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Les étranges créatures nocturnes de la calanque de Morgiou
L'arrivée des fortes chaleurs annonce le début de la saison des plongées nocturnes, un moment que j'attends avec impatience chaque année ! La plongée de nuit c'est l'assurance de redécouvrir le monde sous-marin sous un nouveau jour, beaucoup de poissons que nous croisons habituellement en journée dorment, d'autres sortent chasser, les crustacés sont en effervescences et les cnidaires se déploient pour se nourrir. La nuit les invertébrés prennent possession des lieux, plonger en nocturne c'est donc l'assurance de rencontrer des êtres vivants surprenants et étranges, que l'on pourrait croire sortis tout droit d'une autre planète !
Avec François et Philippe nous nous donnons rendez-vous en début de soirée à la calanque de Morgiou pour notre première nocturne de 2022. Alors que nous partageons l'apéro sur la terrasse du cabanon, nous avons le plaisir de recevoir la visite de Cédric, un ami calanquais, qui nous propose d'aller effectuer tous ensemble notre plongée en bateau, en voilà une bonne idée ! Nous décidons de nous rendre sur la côte ouest de la calanque, en direction du Cap Morgiou. Malheureusement nous découvrons que le coin est envahit par les méduses pélagies qui pullulent depuis quelques semaines à cause de la chaleur. Plonger ici n'est pas vraiment envisageable ...
Finalement nous nous rabattons sur la rive opposée où se trouve la grotte bleue, cette cavité étant à l'abri du courant les méduses devraient être moins nombreuses de ce côté de la calanque. En ce début de nuit le ciel est noir d'encre, la Lune n'est pas encore levée et je ne parviens pas vraiment à distinguer l'entrée de la grotte qui dépasse à peine de la surface de l'eau. Heureusement que François et Cédric connaissent la calanque par cœur, je n'ai qu'à me laisser guider en suivant les faisceaux de leurs lampes jusqu'à l'antre de ce monde caverneux obscur.
Comme nous le pensions, ici les méduses sont absentes. Nous allons pouvoir démarrer sereinement les explorations sous-marines à la lumière des lampes. La grotte bleue je commence à bien la connaître, je sais qu'elle abrite une importante faune aux mœurs nocturnes. A commencer par les petites anémones rougeâtres nocturnes (Telmatactis forskalii). Cet étonnant cnidaire a la faculté de se rétracter entièrement dans le trou où elle s'est fixée durant la journée. Cette espèce n'est donc observable que de nuit, au moment où elle se déploie pour se nourrir !
La petite rascasse rouge (Scorpaena notata) est abondante dans la calanque de Morgiou, elles sont nombreuses à sortir après le coucher du Soleil. Ce poisson reste patiemment immobile sur la roche en attendant qu'une proie passe à sa portée. Celle-ci a déployé toutes ses nageoires pour se donner du volume et essayer de m'impressionner.
En fouinant sous les rochers situés vers le fond de la grotte je découvre une crevette épineuse (Stenopus spinosus) qui déambule dans l'obscurité. Cette crevette cavernicole s'aventure rarement à découvert, c'est une bonne occasion pour l'approcher.
Cette espèce de crevette fait partie des nettoyeuses, avec ses longues pinces elle inspecte et déparasite les poissons, notamment les murènes. La crevette épineuse est surtout active la nuit, de ce fait elle possède de très longues antennes qui lui permettent de mieux appréhender son environnement dans l'obscurité, mais aussi de communiquer avec ses congénères.
La grotte bleue abrite également de petits habitants très discrets qui rampent lentement sur les rochers, il s'agit des berthellines oranges (Berthellina edwardsii). Cette limace de mer lisse, uniforme et bombée, se fond parfaitement parmi les éponges et les ascidies, aussi elle peut passer facilement inaperçue si on ne scrute pas attentivement le substrat avec la lampe. Celle photographiée ci-dessous présente une teinte jaunâtre indiquant qu'il s'agit d'un jeune individu.
Ma nouvelle lampe Volador DX70C est assez puissante pour me permettre de découvrir les parois de la grotte qui sont exposées à l'air libre. Je sors quelques instants la tête de l'eau le temps d'admirer les concrétions qui tapissent la voute qui me surplombe.
De retour sous l'eau je croise une belle dromie (Dromia personata), un drôle de crabe primitif bombé et velu qui se rencontre principalement dans les cavités et les grottes sombres.
Il y a toute une population de dromies par ici, ces animaux sont très originaux et attachants car ils ont pour habitude de se couvrir le dos d'une éponge pour se camoufler. La palme d'or du plus beau costume revient sans hésitation à ce petit individu qui s'est décoré la carapace d'une axinelle plate rehaussée d'un bouquet de zoanthaires jaunes. Voilà un ornement du plus bel effet, il n'y a pas de doutes cette dromie a du goût !
Plus bas, sur les rochers du fond, je trouve une nouvelle berthelline orange (Berthellina edwardsii) bien colorée. La teinte caractéristique de cet animal lui a aussi valu d'être surnommée "limace pêche".
Au pied de la paroi de la grotte, vers quatre mètres de profondeur, François remarque une forme globuleuse brune fixée à la roche. D'en haut il est difficile d'identifier à quoi correspond cette masse sombre. Du coup nous décidons de descendre en apnée l'observer de plus près afin d'éclaircir le mystère. Et nous découvrons qu'il s'agit en fait d'une grosse limace de mer pleurobranche (Il ne s'agit pas d'un nudibranche car ses branchies ne sont pas apparentes, elles sont cachées sous son manteau). Il s'agit d'une berthelle ocellée (Berthella ocellata), une espèce cousine de la berthelline orange qui arpente le substrat à la recherche d'éponges dont elle se nourrit.
Cette nouvelle espèce rencontrée dans la grotte bleue témoigne de la richesse de la biodiversité de la calanque de Morgiou et notamment de la grotte bleue.
En explorant attentivement les rochers du fond de la grotte je repère pas mal de berthellines oranges, elles semblent constituer une véritable population qui se concentre particulièrement sur ces gros blocs qui jonchent le sol. La limace que je photographie ici est un peu plus grande que les précédentes, sur cet individu on devine assez bien une tache blanche à travers la chair semi-translucide de son manteau, il s'agit d'une petite coquille interne.
Juste sous la surface de l'eau je repère une minuscule coryphelle mauve (Edmunsella pedata). J'en observe régulièrement dans la grotte bleue qui en abrite une colonie. Ce nudibranche est très petit mais il est très coloré, il est plaisant à observer.
D'autres coryphelles apparaissent entortillées autour de quelques branches d'eudendrium, elles déposent directement leurs pontes sur les ramifications de l'hydraire qui leur sert de garde manger.
Un peu plus loin je tombe sur une araignée de mer ridée (Herbstia condyliata) qui a trouvé son repas du soir. En effet, elle est parvenue à attraper une méduse pélagie dont la carcasse gélatineuse paraît en piteux état. Bon appétit !
Revoilà une coryphelle mauve qui grignote quelques polypes d'eudendrium de Méditerranée.
Alors que je m'approche de la sortie de la grotte je remarque la présence d'une galathée (Galathea squamifera) cachée dans une petite anfractuosité. Ce crustacé est assez craintif, dès que je l'éclaire il recule pour se réfugier dans sa tanière.
Il est temps de quitter le long boyau rocheux de la grotte bleue et de continuer les explorations à l'extérieur. En franchissant l'arche de pierre je retrouve les grands espaces et le ciel étoilé, j'ai l'impression de revenir d'un voyage dans un autre monde, comme si j'avais passé une heure sur une autre planète.
Dans une petite cavité proche de la grotte j'ai l'agréable surprise de découvrir une crevette drimo (Gnathophyllum elegans) également appelée crevette arlequin. Voilà une nouvelle rencontre qui n'est possible que la nuit car la drimo se cache durant la journée et ne sort que dans l'obscurité pour chasser les vers et les petits crustacés dont elle se nourrit.
Et c'est une rencontre marquante tant cette crevette est intrigante avec sa forme étrange et ses couleurs improbables. Je reste un moment à l'observer et elle semble faire de même, ce qui m'offre l'opportunité de lui trier le portrait en prenant mon temps. La drimo est à mon goût l'un des petits trésors de Méditerranée, je trouve cet animal très esthétique !
La crevette finit par se lasser de moi, pour elle il y a trop de lumière ici, elle s'en va retrouver une atmosphère obscure et plus à sa convenance.
Revoilà une dromie, elles sont de sortie ce soir ! Celle-ci est de belle taille, elle fouille le sol avec ses pinces roses à la recherche de nourriture.
En longeant la falaise nous découvrons un petit poulpe (Octopus vulgaris). Il paraît intimidé par notre présence et part se réfugier dans un petit trou où il tente de se faire le plus discret possible. Je prends juste le temps de faire une photo et je le laisse tranquille.
Avec François nous décidons d'aller rendre visite au tombant des gorgones jaunes. Sur le chemin, en longeant la falaise, je repère une très jolie éponge rose dont l'aspect ne m'est pas familier. Après recherche il semble s'agir d'une éponge tubulaire rose (Haliclona Mediterranea) avec des lobes peu développés.
Me voilà parvenu au dessus du tombant des gorgones jaunes (Eunicella cavolini), un endroit que j'aime particulièrement. En descendant quelques mètres en apnée on voit surgir sous un surplomb rocheux toute une forêt de gorgones. Évidemment lorsqu'on est entouré d'animaux aussi fragiles il faut bien maitriser ses mouvements et bien veiller à ne pas les heurter ou leur donner des coups de palmes.
Rendre visite aux gorgones jaunes de nuit et bien plus intéressant que le jour car les colonies de coraux prennent vie et déploient leurs polypes afin de capturer les organismes planctoniques dont elles se nourrissent.
Ce tombant est vraiment très beau, il comporte un bel enchevêtrement d'éventails ramifiés. Les gorgones sont toutes orientées dans le même axe, elles sont disposées perpendiculairement au courant afin de filtrer plus efficacement l'eau et capturer un maximum d'éléments nutritifs.
Les gorgones jaunes apprécient les zones ombragées, comme la grande majorité des espèces rencontrées lors de cette plongée !
Entre les gorgones se cachent de nombreuses éponges, parmi celles-ci une éponge épineuse orange (Acanthella acuta) attire mon attention avec son aspect hirsute et sa couleur vive.
Sur le tombant je repère également une magnifique étoile de mer glaciaire (Marthasterias glacialis). Cet échinoderme est probablement à l'affut de mollusques bivalves qui constituent sont menu favori. A l'aide de ses puissants bras il est capable d'ouvrir les coquilles pour en dévorer le contenu.
En nageant vers le bateau je croise un gros sar commun (Diplodus Sargus Sargus) qui dort près du fond. il est apparemment plongé dans un sommeil profond car il ne réagit pas du tout à ma présence. Notons que le sar modifie son aspect après le coucher du Soleil, ses flancs se retrouvent parés de longues bandes noires.
Il est désormais près de minuit et il est temps d’imiter le sar et de rentrer se reposer au cabanon. Cette plongée aura été une véritable immersion dans le monde surprenant des invertébrés de Méditerranée, un monde peuplé de créatures étranges qui prennent vie à la nuit tombée.
La calanque de Morgiou
La calanque de Morgiou est située dans le Parc national des Calanques. Cette calanque encaissée abrite un petit port de pêche, quelques cabanons et un bar restaurant. Morgiou offre un cadre naturel magnifique, elle est sauvage et particulièrement paisible, l'eau y est souvent cristalline. L'accès en voiture y est réglementé en journée durant la période touristique entre le printemps et l'automne, seuls les résidents où les visiteurs ayant réservé une table au restaurant du petit port de pêche peuvent alors y descendre en véhicule.
Tags : snorkeling dans les calanques, snorkeling à Morgiou, plongée de nuit dans les calanques, crevette drimo, corail de Méditerranée
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Commentaires
Salut !
Merci, c'est vrai que la drimo est une merveille, on la croirait tout droit sortie d'une mer tropicale avec ses belles couleurs mais il s'agit bel et bien d'une crevette de Méditerranée !
Salut Laurent,
Toujours magique les plongée de nuit. C'est une bulle de lumière qu'on amène avec soi dans les profondeurs avec sa torche.
A trente mètres, il semble qu'on se trouve à des milliers de mètres sous la surface, plus de repères à par les bulles du détendeur qui remontent vers le haut. Le noir de toute part (quand on éteint sa lampe, un peu stressant).
Mais des points de luminescence furtifs qui surgissent un peu partout et aussi les claquements et le crépitements lointains de la vie sous-marine.
Et quant on rallume, tout à coup un poisson figé, paré de toutes ses couleurs, magnifique et tellement inattendu de pouvoir l'approcher si près. Comme tu l'as dit, une autre planète.Salut Jean Luc !
C'est exactement ça, on se raccroche au faisceau de sa lampe qui révèle très progressivement le décors sous marin et quand on éteint tout on se rend compte qu'on baigne dans une soupe de plancton bioluminescent, c'est une expérience incroyable à partager. Mais c'est vrai que pour vraiment en profiter il faut dépasser le stress et la crainte de l'obscurité. A plusieurs avec quelqu'un qui connait le terrain c'est plus facile.5gillounetMardi 28 Juin 2022 à 16:50Salut Laurent. Quelle classe ce crabe dromi recouvert de zoanthères ! C'était la fashion week !
Et la drimo, n'est pas en reste. Un sacré défilé de mode cette plongée.
Tes photos sont encore au top.
6jeandefloretteMardi 28 Juin 2022 à 18:59Formidable tes plongées de nuit avec la fine équipe.! Celle ci ne fait pas exception! Je n'ai encore jamais vu de crevette drimo! Ca me manque! Festival de dromies et de gorgones. Super!
Salut !
@ Gilles : Oui c'était un festival de couleurs cette plongée, j'étais le projectionniste éclairagiste aux premières loges de ce défilé extravagant :) Va falloir qu'on se cale une plongée crépusculaire / nocturne ensemble prochainement, peut-être du côté de la Ciotat ?
@ André : Merci ! Et oui elle est belle cette drimo mais on ne la croise malheureusement pas souvent, je l'ai observé une fois au crépuscule au Cap Croisette (Goudes), et trois fois à Morgiou de nuit, chaque fois c'était en fouinant sous les rochers avec la lampe, un peu comme les crevettes épineuses. Celle là elle semble avoir une activité exclusivement nocturne, je ne l'ai jamais vu de jour même dans les grottes ou les cavités sombres. Faudrait essayer un soir de faire une plongée de nuit au Petit Mugel histoire de voir s'il y en a pas là bas aussi. De mon côté c'est le doris géant que j'aimerais voir, mais j'ai beau chercher, pas moyen d'en rencontrer ...
8Laurent IiJeudi 30 Juin 2022 à 07:11Très belle série de photos. Bien nettes, sans particules. Bravo. A quand du dessin subaquatique?Salut Laurent !
Merci de ton commentaire. L'eau dans la grotte était très claire, pas trop de particules. Le plus embêtant c'était surtout les organismes planctoniques qui défilaient devant l'objectif car ils étaient attirés par la lumière de la lampe ... Du coup il fallait que je fasse pas mal d'images pour chaque sujet pour en avoir des "propres".
Quant au dessin subaquatique, çà ne m'a même pas effleuré l'esprit ;) En plongée les sujets bougent tellement vite que l'esquisse risque te tourner rapidement à une représentation très abstraite ou purement artistique, la photo sous l'eau est ce qui se rapproche le plus de ce qu'on voit à travers son masque :)
Cela dit sur instagram j'ai trouvé une fois un japonais dont j'ai oublié le nom qui fait du dessin sous l'eau, c'était très beau ce qu'il fait !
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Encore de bien belles photos et une belle découverte pour ma part la crevette drimo ... superbe bestiole !!!