• Plongée sous les étoiles de la calanque de Morgiou

    Je l'attendais avec impatience cette première plongée de nuit de l'année 2020 ! Les températures estivales sont enfin arrivées, il fait désormais suffisamment chaud pour gouter à nouveau aux joies de l'exploration nocturne de la Méditerranée. Ce qui n'ont jamais essayé se demanderont certainement quel est l'intérêt et le plaisir de s'immerger dans une masse liquide obscure et angoissante où l'on perd tout ses repères ? Et bien plonger de nuit c'est tout simplement une expérience incroyable où tout nos sens sont en éveil. A la lumière des lampes nous découvrons l’incroyable effervescence de la vie sous-marine mètre par mètre, car beaucoup d'animaux ne sortent que la nuit ! Et il suffit de tendre les oreilles sous l'eau pour s’apercevoir que le monde du silence se remplit au coucher du Soleil de milliards de petits crépitements témoignant d'une intense agitation. En sortant la tête de l'eau le silence règne à nouveau et les yeux s'ébahissent devant le spectacle de centaines d'étoiles.

    Pour cette plongée nocturne je ne serai pas seul, je rejoins François et Philippe à la calanque de Morgiou au crépuscule. Nous commençons par un bon apéro de retrouvaille entre amis, puis nous  partons rejoindre le monde de Neptune avant que la nuit noire ne s'installe.

    Comme le vent a cessé de souffler depuis quelques jours, la température de l'eau est devenue plus agréable, on approche 20°C. Du coup nous parvenons à nous élancer dans la mer sans trop d'hésitations, en quelques minutes on est vite acclimatés.

    La tombée de la nuit est synonyme de début de partie de chasse pour certaines espèces, c'est notamment le cas de cette jolie petite rascasse rouge (scorpaena notata) aux taches fuchsias. 

    petite rascasse rouge

    En Méditerranée on n'a pas beaucoup de coraux mais les fonds marins regorgent d'algues et de coralligène aux couleurs les plus surprenantes.

    Ce soir les petites rascasses rouges sont de sorties, elles sont nombreuses à faire guet sur les parois rocheuses. Elles restent immobiles et attendent qu'une proie passe à leur portée pour la gober.

    petite rascasse rouge 

    Sous l'eau un tintamarre de crépitements et de sons ressemblant à des coassements s’intensifie au fur et à mesure que l'obscurité envahie la calanque. Ces bruits sont d'origine biologique, ils sont en partie produits par les mandibules des crustacés qui s'activent et sortent pour se nourrir. Et dans l'environnement rocheux de Morgiou des crustacés il y en a de toutes sortes, en plongée de nuit on peut observer une grande variété d'espèces différentes comme cette dromie (dromia personata).

    dromie

    La nuit certains poissons se cachent pour dormir à l'abri des prédateurs. Cette castagnole (chromis chromis) a trouvé refuge dans une petite cavité riche en coralligène.

    Quand on s'intéresse aux crustacés on pénètre dans un monde d'animaux aux formes surprenantes, dignes des créatures extraterrestres imaginées par la science fiction. Après la grosse dromie et sa drôle de carapace globuleuse, voici la galathée commune (galathea squamifera) avec ses étranges yeux rouges et ses pinces démesurées.

    galathée

    En promenant le faisceau lumineux de la lampe sur la roche je découvre tout un tas de petites paires de yeux brillants qui se promènent dans l'obscurité. En y regardant de plus près je remarque qu'ils appartiennent aux crevettes nettoyeuses (lysmata seticauda).

    crevette nettoyeuse

    Et voilà une nouvelle castagnole cachée dans le même trou que la crevette nettoyeuse.

    castagnole

    Nous avançons lentement en direction de la grotte Bleue car il y a beaucoup d'observations intéressantes à faire sur le trajet.

    De mon côté je tombe sur un animal peu ragoutant, il s'agit d'un ver rubané flamboyant (Nipponnemertes pulchra). Ce ver némertien de grande taille (il mesure près d'une dizaine de centimètres) est un carnivore, lui aussi sort chasser la nuit, il se nourrit principalement de petits invertébrés. Pour les capturer le ver est capable de déployer une trompe paralysante en forme de filet appelée proboscis.

    ver flamboyant

    Voici maintenant un animal beaucoup plus élégant que le ver rubané : une belle crevette jaune cavernicole (stenopus stenosus), qui est aussi appelée crevette épineuse. 

    crevette jaune cavernicole

    Quant au sar commun passe la nuit en restant tout près des rochers mais sans forcément se cacher. Au coucher du Soleil son apparence se modifie légèrement, sa robe devient plus sombre, elle laisse apparaître de fines bandes sombres sur ces flancs ce qui lui assure un meilleur camouflage.

    sar

    Autre animal au mœurs nocturnes : la petite cigale de mer (scyllarus arctus). Elle se nourrit de petits mollusques et de vers.

    cigale de mer

    La cigale de mer est très colorée au niveau de queue où l'on note des touches de orange et de bleu. Je la trouve assez esthétique, puis elle a une bonne bouille avec ses petits yeux ronds comme des billes.

    cigale de mer

    Nous parvenons enfin à la grotte Bleue qui, la nuit, devient une cavité parfaitement obscure. On aurait presque l'étrange sensation d'être de retour dans le ventre de notre mère si ce n'est qu'ici l'eau est plutôt froide ... Lorsqu'on passe la tête hors de l'eau les étoiles ont évidemment disparu, il suffit d'envoyer un coup de lampe vers le haut pour distinguer les parois de la grotte qui nous enveloppe.

    Sous l'eau des concrétions dessinent par endroits de longues collerettes verticales qui donnent bien la sensation d'être dans une caverne.

    La grotte Bleue abrite également une faune très riche que le plongeur naturaliste attentif et observateur saura débusquer. On peut parfois avoir la chance d'y observer une langouste rouge (palinirus elephas).

    langouste

    Les petites araignées de mer ridées (herbstia condyliata) sont plus communes que les langoustes dans ce biotope obscur.

    araignée de mer ridée

     

    En inspectant attentivement les gros blocs rocheux qui jonchent le fond de la grotte j'ai la bonne surprise de découvrir une petite berthelline orange (berthellina edwardsii) qui rampe sur le coralligène en quête d'ascidies dont elle se nourrit. Cet animal est sciaphile, c'est à dire qu'il fuit la lumière du jour et s'observe donc principalement la nuit.

    bertheline orange

    Comme c'est la première fois que je parviens à observer cette espèce malgré mes nombreuses plongées, je m'estime plutôt chanceux d'avoir pu la photographier. Mais je m'aperçois rapidement qu'ici l'animal n'est pas si rare, il existe en fait toute une population de berthelles dans la grotte. En effet, quelques mètres plus loin je tombe sur un autre spécimen orange plus clair. Si vous regardez bien la photo ci-dessous vous remarquerez même que juste derrière la berthelline orange se cache aussi une petite berthelle ocellée (berthella ocellata) ! Cette dernière est plutôt grisâtre, elle est couverte de petites taches claires.

    En fait il y a des berthelines oranges partout, en voilà encore une autre. Sous son manteau lisse et bombé se cache une minuscule coquille interne aplatie mais elle est insuffisante pour protéger l'animal. De ce fait la bertheline se défend des prédateurs en sécrétant une substance acide blanchâtre. Sa couleur varie du jaune pâle au orange-rougeâtre, ce qui lui vaut le surnom de limace-pêche.

    bertheline

    Dans la grotte il ne faut pas oublier de regarder près du fond car des animaux intéressants s'y cachent parfois. Cette fois-ci avec François nous repérons vers quatre mètres de profondeur un petit congre juvénile qui zigzague le long de la paroi rocheuse.

    congre

    Nous commençons à nous refroidir car dans la grotte l'eau n'est pas bien chaude. En sortant de la cavité nous retrouvons le ciel lumineux couvert d'étoiles qui éclaire d'une douce clarté les grandes falaises blanches de la calanque.

    L’œil vigilent de François ne reste pas longtemps à l'air libre, il repère juste en dessous de nous un très beau corb (sciaena umbra), mais ce dernier ne s'est pas attardé dans le faisceau de nos lampes. J'ai juste eu le temps de réaliser une photo réflexe avant qu'il tire sa révérence ...

    corb

    Nous entamons désormais le chemin du retour car cela fait plus de deux heures que nous sommes dans l'eau. Mais avec François nous trainons un peu sur le chemin histoire d'en profiter jusqu'au bout. Nous éteignons toutes nos lampes et appareils photos pour nous plonger dans une obscurité maximale. En agitant nos bras et nos jambes nous observons tout autour de nos membres une aura lumineuse verdâtre tourbillonnante, nos gestes activent la bioluminescence du plancton qui nous entoure ! Nous plongeons à tour de rôle dans les profondeurs ténébreuses en effectuant de grands mouvements et nous nous retrouvons enveloppés d'un halo vert spiralant autour de nos corps. Le phénomène est bien plus visible que les années précédentes. Voilà une expérience magique malheureusement impossible à photographier avec nos modestes appareils photos ...

    Voilà encore quelques photos des rencontres effectuées sur le retour. Une crevette jaune cavernicole (stenopus spinosus) me présente ses pinces acérées.

    crevette cavernicole

    François débusque une belle murène (muraena helena) qui serpente parmi les rochers. Elle reste méfiante mais ne se sauve pas, çà nous laisse le loisir de l'observer de plus près.

    Cette plongée de nuit n'aurait pas été complète sans avoir rencontré un poulpe (octopus vulgaris). Cette lacune est désormais comblée puisque j'en repère un camouflé parmi les algues. 

    Le poulpe n'apprécie pas l'éclairage de ma lampe et il décide de prendre la fuite.

    Je continue de jeter un coup d'oeil dans les trous que je rencontre sur le chemin du retour. J'ai encore droit à quelques belles surprises comme cette nouvelle murène (muraena helena) qui me montre son impressionnante dentition pour me prévenir de ne pas approcher de son antre.

    Voilà, la plongée de nuit touche à sa fin. Nous avons pu une fois de plus constater à quel point la vie sous-marine est riche après le coucher du Soleil. J'ai rarement pu observer autant d'espèces différentes lors d'une seule sortie.

    Afin de prolonger le plaisir de cette soirée exceptionnelle, nous reprenons des forces en partageant un bon repas sous la Voie Lactée estivale, avec en point de mire les brillantes planètes Jupiter et Saturne qui se présentent dans l'axe de la calanque. Nous finirons par une petite balade céleste entre les amas d'étoiles et les nébuleuses avec ma lunette astronomique. Et la nature nous offrira un dernier cadeau en nous permettant d'assister au passage de l'ombre d'une Lune de Jupiter se projetant sur les bandes nuageuses de la planète géante gazeuse. Quoi de mieux qu'une éclipse lointaine pour clore en beauté cette magnifique soirée.

     


     

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    La calanque de Morgiou

     

    La calanque de Morgiou est située dans le Parc national des Calanques. Cette calanque encaissée abrite un petit port de pêche, quelques cabanons et un bar restaurant. Morgiou offre un cadre naturel magnifique, elle est sauvage et particulièrement paisible, l'eau y est souvent cristalline. L'accès en voiture y est réglementé en journée durant la période touristique entre le printemps et l'automne, seuls les résidents où les visiteurs ayant réservé une table au restaurant du petit port de pêche peuvent alors y descendre en véhicule.

     

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    gillounet
    Lundi 29 Juin 2020 à 14:53

    Superbe et passionnante plongée ! Qui se termine en apothéose avec de l'astro… Que demander de plus. Merci du partage.

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    2
    Pascal Lebrun
    Lundi 29 Juin 2020 à 22:28

    Un superbe reportage de plus ... Merci Laurent 

    3
    Lundi 29 Juin 2020 à 22:47

    Merci à vous deux ! Je dois dire que question bestioles j'ai été servi lors de cette nocturne :)

    Sinon je viens de me rendre compte que j'ai oublié de mettre la photo d'une girelle paon qui dort dans son lit d'algues, va falloir que je la rajoute !

    @ Gilles : côté astro on a eu une stabilité atmosphérique au top pour l'observation des bandes nuageuses de Jupiter et des anneaux de Saturne, c'était à couper au couteau. Le fils de François a bien accroché sur l'observation à la lunette et le repérage des constellations, son enthousiasme m'a fait plaisir, un nouveau padawan astronome ;)

    J'espère qu'on pourra refaire un tour à Morgiou avec toi la prochaine fois.

    4
    jeandeflorette
    Mercredi 1er Juillet 2020 à 12:39

    Hello Laurent!

    Oui super sortie, jolies rencontres! Beaucoup d'espèces différentes! Une belle soirée que vous avez passée.

    A+

     

    5
    Jeudi 2 Juillet 2020 à 00:31

    Salut André !

    Oui une soirée mémorable avec beaucoup d'espèces différentes comme tu l'as remarqué. çà fait plaisir de voir un peu des animaux inédits comme les berthelles.

    J'ai l'impression qu'il y a des années fastes pour certaines d'entre elles, une année tu t'en souviens surement, il y avait des doris dalmatiens partout au Petit Mugel, une autre année c'était les hervias qui devenaient commune. Puis d'une année à l'autres ces espèces sont devenues plus rares ou moins abondantes. Là c'est les berthellines, çà fait plusieurs fois que je vais dans la grotte bleue et c'est la première fois que j'en vois, et en nombre !

    Ce sont les mystères de la nature ... A bientôt !

    6
    jo d'plum
    Samedi 4 Juillet 2020 à 17:25

    Magnifique Laurent, tu as parfaitement retranscris l'ambiance de cette soirée exceptionnelle. Merci

    je n'ai pas encore regardé mes photos mais je sais qu'elle ne sont pas top. Ils faut que je prenne le temps de me pencher sur le matos et voir ce qui ne va pas.

    A plus

    7
    Dimanche 5 Juillet 2020 à 16:27

    Salut François,

    C'est toujours un plaisir de partir dans de nouvelles aventures avec toi et Philippe, on a vraiment passé une belle soirée tous ensemble. Et merci de m'avoir montré la langouste et le plancton bioluminescent !

    Pour ton setup je pense qu'il vaut mieux essayer de trouver une fixation sur le sabot à flash de la partie supérieure du caisson pour ta lampe, la platine inférieur prend beaucoup de place et c'est handicapant pour visiter les trous. Pour les reflets peut-être que la lampe est trop puissante, ou alors c'est le capuchon attaché qui renvoie de la lumière vers le caisson ? Il faudrait faire un essai en l'enlevant, moi c'est ce que j'ai fait car j'en avais marre qu'il flotte devant l'objectif.

    A bientôt !

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