Me voilà reparti une plongée de nuit dans la superbe calanque de Morgiou en compagnie de François, mon binôme de la soirée. Cette exploration s'effectue à la nouvelle Lune, ce qui va nous assurer d'être dans le noir complet, seulement éclairés par nos lampes, et lorsqu'elles sont éteintes par les étoiles ! Les conditions sont idéales pour expérimenter une nouvelle fois l'observation du plancton bioluminescent et voir si par nuit noire la faune est différente.

La nuit il faut partager l'espace avec les rascasses, elles sont très nombreuses à se poser sur les rochers pour chasser. Il faut faire très attention à ne pas leur poser la main dessus car leurs arrêtes dorsales sont très venimeuses, c'est à peu près le seul danger que l'on encourt lors des cessions nocturnes sur nos côtes Méditerranéenne. Ci-dessus et ci-dessous deux magnifiques petites rascasses rouges (scorpaena notata).

Ce soir l'eau est particulièrement chargée en plancton de toutes sortes, il faut voir le nombre impressionnant d'organismes plus ou moins petits qui défilent devant le faisceau de lumière de lampe ! C'est marrant à observer, par contre c'est une plaie pour la photographie sous-marine car la mise au point au déclenchement ne se fait pas toujours sur la cible désirée mais plutôt sur les micro-bestioles qui passent devant l'objectif ... 

Mais parfois le plancton lui même devient le sujet de la contemplation comme ce fut le cas avec ce macro-plancton qui est passé devant nous, il s'agit d'un radiolaire colonial (Collozoum sp.).

Ce radiolaire est formé de l'agrégation de milliers de cellules individuelles qui se sont divisées (les points blancs). Les cellules produisent et vivent dans une gangue gélatineuse commune formant une masse assez translucide et plus ou moins allongée de quelques centimètres. Les radiolaires du genre collozoum constituent des structures fragiles car elles sont dépourvues de squelettes siliceux.

Cette nuit nous changeons d'itinéraire et nous allons explorer le côté opposé à la grotte bleue. Après avoir traversé la crique nous voilà sur la façade sud-est de la calanque. Ici aussi il y a de nombreuses cavités à visiter. Souvent on y rencontre quelques crustacés à l'image de cette jolie crevette épineuse (stenipus spinosus).

L'ophiure lisse (ophioderma longicauda) s'observe également à partir du crépuscule, lorsqu'elle s'active pour aller chasser des vers ou des invertébrés. Cette espèce est assez commune sur le littoral des Bouches du Rhône mais en journée elle reste cachée dans les anfractuosités de la roche et elle passe donc inaperçue !

Les petites cigales de mer (scyllarus arctus) sont toujours fidèles au poste, en fouinant dans les recoins on en rencontre pas mal. J'aimerais un jour pouvoir également croiser une grande cigale mais cette espèce est devenue rare sur nos côtes à cause de la surpêche. Les grandes cigales peuvent atteindre une taille de 45 cm alors que les petites cigales font juste la longueur d'une main d'adulte.

Autre animal aux mœurs nocturnes : la superbe et très originale crevette drimo (Gnathophyllum elegans). Il est peu fréquent de la croiser, donc quand on en voit une on savoure l'instant. Il ne faut pas trop tarder à la prendre en photo quand on l'aperçoit car elle n'aime guère la lumière des lampes et elle retourne facilement dans sa tanière si elle se sent trop dérangée.

La belle surprise de cette sortie c'est l'observation vers 5 mètres de profondeur d'un le poulpe tacheté (callistoctopus macropus) repéré par François. C'est la première fois que nous observons cette espèce qui ne sort elle aussi que la nuit.

Il s'agit de la seconde espèce de poulpe de Méditerranée, elle se distingue bien du poulpe commun avec sa couleur rouge tachetée de blanc et ses très longs bras. Nous effectuons plusieurs apnées pour aller l'observer mais comme il a senti qu'on l'a repéré, il s'est décalé prudemment vers une zone plus profonde où il a fini par disparaître. 

Plus près de la surface une étoile de mer rouge arpente la paroi rocheuse en quête de particules organiques dont elle se nourrit.

Chaque sortie en mer apporte son lot d'observations rares, après le poulpe tacheté voilà que François repère dans une petite cavité profonde de 6 ou 7 mètres une porcelaine livide (luria lurida) de belle taille. Cette espèce menacée fait l'objet d'une protection stricte, il est absolument interdit de la ramasser sous peine de la voir disparaître ! Sa coquille lisse et brillante est entourée d'un fin manteau de peau semi translucide. En tout cas çà fait plaisir de la croiser, comme quoi il en reste encore quelques spécimens et les mesures de protection portent leurs fruits.

Par contre j'ai vu peu de poissons cette nuit mis à part des rascasses, une grosse mostelle fuyante et quelques apogons (apogon imberbis) se cachant dans des trous ou évoluant parfois en pleine eau.

Certains tombants présentant une couverture riche en hydraires abritent de petits groupes de nudibranches. Ci-dessous deux minuscules coryphelles mauves (edmunsella pedata) semblent en phase d’accouplement. 

En auscultant en détail toutes les recoins de la paroi rocheuse couverts d'hydraires en quête de petite limaces de mer je suis tombé sur une scène peu banale, l'accouplement de deux araignées de mer ridées (herbstia condyliata) ! Décidément nous voilà en pleine période de reproduction de nombreuses espèces de la faune sous-marine ! Le mâle, bien plus gros que la femelle, est positionné au dessus de cette dernière. Il est reconnaissable à son énorme pince rouge. Mais ce dernier n'a justement qu'une seule pince et semble même avoir perdu une patte, on peut d'ailleurs voir sur sa carapace les cicatrices claires de l'amputation. Steven Weinberg montre une photo parfaitement similaire à la mienne dans son guide "découvrir la vie sous-marine en Méditerranée" et il se pose la question de savoir si le mâle a été amoché durant un combat avec un rival pour la reproduction ou s'il a été victime d'une prédation ? Je partage son interrogation.

Je ne présente plus les jolies hervias (cratena peregrina), elles sont nombreuses sur notre littoral provençal.

Le spot abrite également quelques flabelline mauve (flabellina affinis), on les reconnait facilement avec leur teinte lavande et leurs rhinopores annelés.

Une petite araignée de mer (maja crispata) se promène lentement sur les rochers. Avec sa carapace couverte d'algues ce crustacé est le roi incontesté du camouflage. Bien souvent il n'est trahi que par son déplacement, mais pour le remarquer il faut vraiment bien ouvrir l'oeil !

Sur le chemin du retour je réalise comme à mon habitude quelques dernières photos, en voilà une d'une cigale de mer qui possède une antre esthétique, couverte de coralligène très coloré.

C'est nouvelle sortie nocturne s'achève, nous sommes restés dans l'eau pendant plus de 2h30 et nous n'avons pas vu le temps passer. Bien sûr avant de retourner au port nous nous sommes une fois de plus régaler du spectacle du plancton bioluminescent en faisant une longue pose toutes lumières éteintes en plein milieu de la crique. Le phénomène a encore gagné en intensité depuis la dernière sortie, il suffit de bouger les membres pour se retrouver instantanément entouré d'innombrables petites étincelles vertes et intenses. Et lorsque nous nous amusons à nager sous la surface, en nous enfonçant dans l'eau sombre nous nous retrouvons enveloppés d'une aura lumineuse couleur émeraude. Un régal !

La calanque de Morgiou

La calanque de Morgiou est située dans le Parc national des Calanques. Cette calanque encaissée abrite un petit port de pêche, quelques cabanons et un bar restaurant. Morgiou offre un cadre naturel magnifique, elle est sauvage et particulièrement paisible, l'eau y est souvent cristalline. L'accès en voiture y est réglementé en journée durant la période touristique entre le printemps et l'automne, seuls les résidents où les visiteurs ayant réservé une table au restaurant du petit port de pêche peuvent alors y descendre en véhicule.