• Le Petit Mugel au clair de Lune

    Voilà presque un mois que je n'étais pas retourné à l’eau, la Méditerranée commençait sérieusement à me manquer ! La saison estivale touche à sa fin et les calanques retrouvent petit à petit leur quiétude naturelle. C'est au crépuscule que je retrouve Gilles, mon acolyte de plongée, à la calanque du Petit Mugel pour de nouvelles explorations sous-marines. 

    Ce soir il n'y a pas de vent, la mer est calme, et la calanque est presque déserte. Les conditions sont idéales pour une session de snorkeling tranquille. Pendant que nous enfilons nos combinaisons nous avons la surprise d'observer le ballet de petits oiseaux très colorés qui passent et repassent autour de nous, avec leurs dos bleus et leurs ventres marrons il nous semble reconnaître des martins pêcheurs ! Je pensais qu'ils affectionnaient plutôt les abords des étendues d'eau douce, mais apparemment ils aiment aussi le bord de mer.

    Une fois à l'eau nous découvrons que la mer est toujours à une température agréable, environ une vingtaine de degrés.

    Pour changer un peu du trajet habituel nous nageons au dessus des herbiers de posidonies au lieu de longer la côte rocheuse.

    Je reste un moment immobile au dessus d'un rocher et j'observe le manège de quelques castagnoles. Au bout d'un moment je remarque que quelques unes d'entre elles sont remontées vers la surface et elles commencent à me tourner autour.

    castagnole

    Je ne suis pas habitué à ce comportement familier car d'ordinaire les castagnoles (chromis chromis) sont plutôt craintives, elles se méfient pas mal des plongeurs. Mais ce soir quelque chose a changé, en voilà une qui se tourne vers moi et m'observe. Elle s'approche même de mon masque pour me regarder de plus prêt ! Me voilà nez à nez avec un poisson, çà n'arrive pas souvent. Puis voilà qu'elle recule et revient pour aller inspecter le caisson de l'appareil photo, une aubaine pour moi !

    castagnole

    Le plus difficile pour le plongeur naturaliste est de ne pas être perçu comme une menace ou un prédateur. Combien de fois avons-nous tenté d'approcher un animal et avons malgré nous provoqué sa fuite immédiate. Quand enfin le plongeur suscite l'intérêt de son sujet, un semblant de contact s'établit. Quand nous lisons la curiosité dans les yeux d'un poisson et non la crainte, quand les rôles s'inversent et que l'observateur devient l'observé, nous vivons des moments rares qu'il faut savourer et  faire durer !

    castagnole

    Pendant que la castagnole s'interroge sur la nature du gros animal inerte qui se présente à elle, je me demande pourquoi ce poisson n'a pas peur de moi. Je suis loin du fond, donc il n'essaye pas d'attirer mon attention pour protéger son nid, à moins que mon immobilisme lui laisse imaginer que je suis une souche flottante sous laquelle il pourrait s'abriter ? Ou peut-être est-ce simplement la même curiosité que la mienne, c'est un poisson explorateur qui a envie de découvrir ce qu'il ne connait pas ! C'est l'histoire d'une rencontre du troisième type ...

    Je laisse ma castagnole et je pars rejoindre Gilles dans l'une des grottes du Mugel. Je retrouve un environnement sombre où prospèrent les éponges et les ascidies. Ce biotope coloré est toujours aussi plaisant à explorer. Au centre de l'image, les éponges globuleuses claires sont des éponges rognons (chondrosia reniformis).

    éponges rognons

    Au fond de la grotte je découvre une dromie (dromia personata) qui se cache sous une éponge qui lui sert de couverture de camouflage. C'est une sorte de cape d'invisibilité comme dans Harry Potter, sauf que celle-ci n'est pas assez grande pour faire réellement effet !

    dromie

    Un concombre cracheur marron (holothuria sanctori) rampe lentement sur le fond de la grotte. La présence de cette espèce sur nos côtes témoigne du réchauffement de l'eau au nord de la Méditerranée. Il se nourrit en filtrant les sédiments du fond marin afin d'en extraire les substances organiques. Au final l'holothurie rejette de petits "boudins" de substrat nettoyé, celle-ci s'en est fait un collier !

    concombre cracheur marron

    Nous quittons la grotte pour faire un tour du côté des petits îlots qui précèdent le cap de Nege Froume. Ces gros rochers abritent quelques anfractuosités qui méritent d'être visitées. En faisant une petite apnée vers deux mètres de profondeur j'en découvre une qui abrite un joli ver bispire (bispira volutacornis). Celui-ci déploie son double panache branchial coloré.

    bispire

    Un peu plus loin c'est deux petits protules (protula tubularia) qui se déploient pour tenter de capter leur nourriture microscopique. Il s'agit là aussi de vers marins sédentaires qui vivent à l'abri dans un petit tube calcaire.

     protules

    Nous voilà parvenus au cap de Nege Froume, ici la mer est toujours agitée, le plancher sous-marin prend subitement de la profondeur.

    Là dans le grand bleu nous croisons des bancs de saupes, de muges ou de castagnoles, il y a des poissons un peu de partout autour de nous. Mais comme il commence à faire sombre, réaliser des images en grand champ à la hauteur du spectacle perçu par nos yeux devient compliqué.

    Gilles part explorer en apnée une petite cavité située sous un rocher vers 7 mètres de profondeur.

    De mon côté j'ai repéré un poulpe (octopus vulgaris) tapi dans le creux d'un rocher vers 3 mètres de profondeur. Je décide de lui rendre une petite visite. Comme il se sent repéré il tente de changer de couleur et devient clair comme la roche. Le poulpe est un as du camouflage et surtout du mimétisme !

    poulpe

    Mais son stratagème ne fonctionne pas sur moi, du coup il choisit l'option de la fuite et descend s'installer un peu plus loin, vers 4 ou 5 mètres de profondeur. Il se fixe sur un rocher qui appartient apparemment au territoire d'un serran chevrette (serranus cabrilla) qui n'apprécie guère la présence du gros mollusque à tentacules. Le poisson téméraire commence à tourner autour du poulpe pour lui signifier son mécontentement et l'intimider. Tout un sketch que je descends immortaliser !

    poulpe

    Je laisse le poulpe tranquille et nous poursuivons notre chemin. Nous entrons maintenant dans un corridor entre deux parois rocheuses. Je repère une petite dent de cochon (Balanophyllia europaea), un cnidaire qui commence à s'ouvrir avec la nuit tombante.

    dent de cochon

    Au pied de la paroi vers 5 ou 6 mètres de profondeur j'aperçois un nouveau poulpe, mais ce denier ne reste pas en place et je n'ai pas le temps de correctement m'approcher de lui ou de le montrer à Gilles. Tant pis ...

    Sur le chemin du retour nous passons pas le coin des hervias. Elles sont toujours réunies sur le même tombant qui est couvert d'hydraires. Cette fois-ci elles sont moins nombreuses, j'en repère quand même une grosse qui est ballotée par le courant et de ce fait difficile à photographier.

    hervia

    Quelques mètres plus loin une blennie trigloïde (Lipophrys trigloides) m'observe avec méfiance. 

    blennie trigloide

    Elle n'est pas du tout en confiance et se réfugie dans son trou en gardant juste un œil inquiet sur la situation.

    Il y a pas mal de petites cavités dans le coin, du coup je passe du temps à fouiner un peu. J'y découvre quelques jolis coins très colorés riches en coralligène. Les petits lobes jaunes orangés possédant un gros oscule sommital appartiennent à une éponge sciaphile, l'agelas orangée (agelas oroïdes).

    Puis je tombe sur une petite curiosité sous-marine, la reproduction de l'éponge rognon par "coulure" ! Il n'est pas banal d'observer une éponge qui dégouline comme du camembert fondu, et pourtant c'est possible avec cette espèce qui se multiplie en larguant des corpuscules clones fixés à l'extrémité des coulures. Ces derniers finiront par se détacher et constituer une nouvelle éponge !

    éponge rognon coulure

    Il y a quand même quelques poissons dans le coin, à l'image de ce petit triptérygion nain (Tripterygion melanurum) très bariolé.

    triptérygion nain

    Ou encore cette rascasse brune (scorpaena porcus) qui est sortie de son repère pour chasser.

    rascasse brune

    rascasse brune

    La nuit s'installe sérieusement et la pleine Lune se lève, rougeoyante, juste à côté de l'île Verte voisine. Le spectacle est magnifique mais difficile à rendre avec un appareil photo configuré pour la photo sous-marine !

    Je visite un dernier trou puis nous entamons la traversée de la calanque pour rejoindre notre rampe de lancement. Cette petite cavité est richement décorée, elle abrite une castagnole et une petite serpule (protula tubularia) qui déploie son panache branchial rosé.

    J'avais dit que se serait le dernier coup d’œil dans les anfractuosités mais la curiosité est la plus forte, j'en visite encore une. Ma lampe Qudos est sur le point de lâcher, la batterie est en bout de course mais ce n'est pas grave, j'ai ma lampe torche Odepro pour rentrer. J'ai bien fait de laisser aller ma curiosité car elle m'a permis de savourer la vision sublime d'un beau tapis d'oscarelles bleutées (oscarella lobularis).

    Gilles se hisse hors de l'eau en premier, comme il fait nuit que la visibilité est mauvaise je lui laisse le temps de se délester des poids et des palmes tranquillement. Pendant ce temps j’ausculte encore quelques rochers. Même sous la rampe de lancement il y a des choses intéressantes à voir à l'image de ce gobie moucheté mâle (gobius incgnitus) qui monte la garde près des tentacules d'une anémone verte.

    gobie moucheté

    La douceur nocturne est très agréable ce soir, en sortant de l'eau à mon tour je profite du calme qui règne, nous sommes les derniers dans la calanque. Nous prenons notre temps pour ranger les affaires et papotons pour échanger nos impressions au clair de Lune, c'est l'un des charmes de la plongée de nuit !

     


     

    http://ekladata.com/pKZInWQrtNko3NvafqLPODA6V68/GPS-icon.png       La calanque du Petit Mugel

    La calanque du Petit Mugel est située sur la commune de La Ciotat près du cap du Bec de l'Aigle et en face de l'île Verte. Le Mugel est une réserve naturelle qui offre un environnement minéral remarquable constitué de poudingues, des roches sédimentaires chargées d'anciens galets que la mer érode lentement, d'où la présence de nombreuses cavités à explorer en snorkeling.

     

     

     

     


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  • Commentaires

    1
    Coyote13
    Dimanche 15 Septembre 2019 à 20:43

    Salut Laurent,

    Comme à l'accoutumée, tes photos sont splendides. J'ai bien aimé la curiosité avec laquelle la castagnole est venue t'observer, la nature nous réserve parfois des moments magiques qu'il faut savoir apprécier à sa juste valeur. Encore merci de partager tes sessions de snorkeling, toujours un grand moment de plaisir.

    2
    Dimanche 15 Septembre 2019 à 22:39

    Bonjour Laurent tes photos sont magnifiques, et tes  explications bienvenues. c'est vraiment très beau ce que tu fais. Bonne continuation. Alain (Bretagne)

    3
    Dimanche 15 Septembre 2019 à 23:18

    Merci à vous deux !

    j'ai essayé de transmettre et de partager le plaisir que j'ai éprouvé durant cette plongée. En plus j'ai eu une castagnole particulièrement coopérative :) . Elle était vraiment étonnante celle-là, elle m'a fait passer un bon moment !

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